Lachambre Avocat

RNSM et dossiers COVID

Quand la multiplication des RNSM, anéantit la confiance en la justice​

Dans un éditorial intitulé « Cour de cassation et assurance : le succès grandissant du RNSM/NA », le Professeur KULLMANN relevait que « devant la deuxième chambre civile » de la Cour de cassation traitant « plus particulièrement les recours qui concernent l’assurance », « la proportion des RNSM tend à augmenter constamment … ce qui explique et confirme l’appauvrissement des tables jurisprudentielles ».

Le RNSM, c’est le rejet non spécialement motivé. En réalité, un rejet non motivé.

L’affaire est ainsi « balayée par une formule plus que sibylline ».

Si M. le Pr. KULLMANN « comprend le souhait de la Cour de cassation de ne pas perdre de temps à s’occuper de pourvois indéniablement stériles »… les choses ne sont pas toujours aussi simples.

Il est à craindre la multiplication de solutions « un peu rapide[s] », moins coûteuses, mais hors de contrôle. Ces solutions semblent incompatibles avec les exigences d’un procès équitable, sans déni de justice, et respectueuses de la sécurité juridique.

Revirement par le silence de la Cour de cassation dans l’assurance « tous risques sauf » des pertes d’exploitation COVID

La Cour de cassation, 2e chambre civile, vient d’en donner une illustration par l’absurde.  Dans le cadre des dossiers PE COVID, pour un contrat TOUS RISQUES SAUF. (VIRAGE AUTOMOBILE – 23/01/2025 23-18.071).

A première vue, un arrêt de rejet et donc, faudrait-il penser, un « pourvoi indéniablement stérile » ?

Pourtant, ce RNSM début 2025 aboutit à un résultat diamétralement opposé à celui obtenu fin 2023 dans une affaire semblable en tous points.

Or, l’affaire VIRAGE AUTOMOBILE est la copie de l’affaire LACME

Arrêt de la 2e chambre civile de la Cour de cassation. 9/11/2023 n°21-23.268.

Les deux assurés ont subi d’importantes pertes à cause de l’impact de la crise sanitaire sur leur exploitation. Ces pertes ont porté atteinte à leur organisation interne, à la masse salariale, aux performances, aux états financiers, à la trésorerie, à la réputation auprès des organismes financiers et à tous ces actifs immatériels indispensables au maintien de la marge brute et de l’activité garanties.

Les deux assurés avaient souscrit par l’intermédiaire d’un courtier un contrat TOUS RISQUES SAUF. Ces contrats ont la particularité de couvrir tout ce qui n’est pas expressément exclu. Ce que traduit la définition de l’objet de la garantie par une formulation particulièrement extensive : « le présent contrat garantit les dommages, les recours, les responsabilités, les frais et pertes consécutifs ou non, subis par l’ensemble et la généralité des biens ayant pour origine un évènement non exclu ».

Ainsi les deux assurés disposaient d’une garantie que l’on peut qualifier de « fourre-tout ». Elles garantissaient les pertes d’exploitation non-consécutives à des évènements expressément identifiés par ailleurs, plafonnée à un montant radicalement inférieur à celui prévu pour les autres garanties, mais néanmoins non négligeable. (Article 4 E du contrat)

RNSM de l’affaire de 2025

Les assurés sollicitaient la mise en œuvre de cette garantie, limitée dans son montant mais en contrepartie illimitée dans son périmètre, en accord avec la catégorie d’assurance « tous sauf ».

 

En 2025, l’assuré se voit débouté, alors qu’en 2023, l’assuré était indemnisé.

 

Plus exactement, en 2025, la Cour de cassation ferme les yeux sur l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles qui a rejeté toutes les demandes de l’assuré. En 2023, la Cour de cassation a expressément approuvé la Cour d’appel d’Angers pour les mêmes demandes.

De deux choses l’une :

  • Soit la Cour de cassation opère désormais des revirements de jurisprudence par le silence,
  • Soit la Cour de cassation approuve qu’une vérité en-deçà des Pyrénées soit une erreur au-delà. Ou plutôt qu’une vérité devant la chambre civile de la Cour d’appel d’Angers soit une erreur devant la Cour d’appel de Versailles.

 

Dans un cas comme dans l’autre, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français ne remplit pas son rôle.  

Attendre 5 ans après la crise sanitaire pour un « circulez, y a (finalement) rien à voir » … gageons qu’à cette sauce, la France ne fait plus rêver. Et c’est de la justice d’Outre-Manche après laquelle on soupire…

Là-bas, la Cour Suprême du Royaume Uni tranchait le 15/01/2021, « selon un cheminement atypique – accéléré » dans le cadre d’une « procédure test » « précisément censée offrir un cadre juridique clair pour éviter la démultiplication des procès sur la même problématique juridique »[1] 

L’affaire a été rapidement tranchée en faveur des assurés. Cette procédure exceptionnelle a posé un cadre unique, un calendrier pragmatique, et des forces en présence équilibrées. La Financial Conduct Authority, l’autorité des marchés financiers anglaise a fédéré plusieurs assurés et porté pour eux le contentieux à l’encontre des principaux assureurs anglais réticents à indemniser les pertes d’exploitation non consécutives à des dommages matériels.

[1] Covid-19 et pertes d’exploitation : la Cour suprême du Royaume-Uni se prononce en faveur des assurés, Evgeny Golosov, Lamyline

En comparaison, que fait aujourd’hui notre Cour de cassation ? Sans vergogne, RNSM, elle botte en touche.

Après avoir attendu dans l’indifférence que chaque assuré remonte jusqu’à elle un chemin parsemé d’embuches, elle décide de ne pas permettre une unification du droit en France. Pis, elle choisit de ne pas veiller à l’égal accès de tous à la justice. Ainsi, la Cour de cassation préfère laisser les assurés, leurs avocats et les juges du fond dans l’incompréhension.

Peut-être la démarche est-elle plus proactive qu’elle n’y paraît? La Cour de cassation, en 2025, s’est-elle décidée à suivre discrètement mais scrupuleusement les recommandations de son Avocat Général? Avocat, qui, en 2023, in extremis, la veille de l’audience opposant les MMA à LACME, s’était littéralement ému du poids des pertes d’exploitation covid pour AXA et ALLIANZ.

RNSM et dossiers COVID
N A 21-23.268 o Décision attaquée : 28 septembre 2021 de la cour d’appel d’Angers

Serait-ce l’avenir de la justice française ? La lenteur, le lobbying puis une équité toute relative? Les PME elles, ne  parviennent que très péniblement à atteindre ces sphères suprêmes! Si elles n’ont pas jeté l’éponge avant ?